09/07/2018 - Portraits

par nathalie marchal - photo mireille roobaert

Champions de légende

Nelson Pessoa et Pierre Durand

Entre eux, on sent une superbe connivence, et aussi un incroyable respect. Les écouter est un plaisir, et même plus : une sorte de leçon de vie, ou plutôt du chemin de vie que l’on peut parcourir, en toute humanité, mais avec une incroyable force vive.

Longines World’s Best Racehorse

« Jappeloup devait avoir une condition physique irréprochable, parce que je partais du principe qu’il ne pouvait produire des efforts répétés que s’il était dans un état optimal, pour éviter les blessures et pour que son moral soit moins affecté par l’effort et qu’il conserve l’envie de sauter».
Pierre Durand

Pour H Equestrian Passion, cet hiver, lors d’une journée ensoleillée au Haras de la Hussière, sis au cœur du Brabant Wallon, ils se sont assis un moment côte à côte pour évoquer quelques souvenirs. « Nelson était mon idole quand j’étais tout jeune cavalier », entame Pierre Durand. « J’ai grandi avec son image, avec l’envie de me rapprocher de lui, et ensuite j’ai eu le bonheur de le connaître en compétition ». Mais pas seulement, car leur estime mutuelle a dépassé ce cadre. « Nelson m’a également conseillé à une époque décisive de ma carrière, pour me faire passer une étape avec mon cheval Jappeloup. C’était durant l’hiver 1987, avant la finale de la Coupe du Monde de Bercy. Nous sommes ensuite toujours restés très proches. J’ai connu son fils Rodrigo quand il était tout petit, je l’ai vu grandir et me suis enthousiasmé lors de ses succès notamment avec Baloubet du Rouet. Rodrigo, c’est pour moi la perfection dans ce qu’un cavalier de compétition doit être », poursuit-il. « Et Nelson, c’est un génie. Un Mozart ! Et du reste, quand il était jeune, il montait déjà comme il monte encore aujourd’hui. Il était en avance. Il a prôné et montré une équitation qui était d’avant-garde, c’est-à-dire dans le mouvement, et plus précisément dans le mouvement en avant ». Car, à l’époque, c’était plutôt l’équitation ‘à l’ancienne’ qui avait cours : à trois foulées de l’obstacle, on arrêtait presque le cheval et puis on le ‘poussait’. « Nelson a commencé à monter avec beaucoup de fluidité, beaucoup de galop et peu d’interventions. C’était une équitation qui, à l’époque, était surnaturelle. Ensuite, tout a évolué dans cette direction-là, ajoute-t-il.

Longines World’s Best Racehorse

« Au travers d’une carrière, il n’y a pas de champion absolu, mais plutôt la réalisation de performances et de contre-performances ».
Nelson Pessoa

Dans les bois

Parmi ses innombrables souvenirs, y a-t-il une anecdote qui ait particulièrement frappé Nelson Pessoa lorsqu’il vint s’installer en Europe ? « Lors d’une chasse à cour en Angleterre chez des amis, j’ai été très impressionné de voir cette manière que tous avaient de monter - jeunes et moins jeunes, dames et messieurs - et de franchir tous les obstacles qui se présentaient à eux dans la nature, comme s’il s’agissait d’une évidence ». Une bonne école, en somme ? « L’apprentissage en milieu naturel est extrêmement sportif et oblige à continuellement s’adapter », ajoute Pierre Durand. « C’est une école complémentaire », conclut-il.

Une certaine manière de monter

Et si le sport équestre n’a cessé d’évoluer lors des dernières décennies, que pensent ces deux champions exceptionnels – et qui ont, eux-mêmes, contribué à ce développement – de l’équitation actuelle ? « D’un point de vue technique, elle est devenue beaucoup plus internationale », constate Nelson Pessoa. Une mondialisation qui induit une certaine standardisation, en quelque sorte ? « Avant, quand on voyait monter un cavalier, on savait d’emblée qu’il était italien, français ou allemand, par exemple », poursuit-il. « Alors qu’aujourd’hui, ce n’est plus le cas ». Pierre Durand confirme : « La manière de monter actuelle traduit beaucoup plus une forme d’uniformité ». Ce qui est par ailleurs, de leur avis à tous les deux, également positif. « Cette caractéristique se retrouve également au niveau de l’attitude du cheval », ajoute-t-il.

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« Aujourd’hui, les chevaux ont des agendas de business men. Ils prennent l’avion et jonglent avec les fuseaux horaires de la même façon ».
Pierre Durand

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Un petit trotting ?

Parlant du cheval justement, Pierre Durand précise : « J’ai toujours considéré Jappeloup comme un ‘cheval – athlète’ ». C’est-à-dire ? « Sa formation devait être globale : ce n’était pas uniquement une question de dressage, ni de lui apprendre à améliorer son style à l’obstacle, mais également d’avoir une condition physique exceptionnelle ». Pour ce faire, Pierre Durand sectionnait son travail avec son cheval entre une mise en condition physique appréhendée de manière exclusive - en partant notamment dans la nature faire 5 ou 6 kms de trotting en montées et en descentes -, des activités de musculature et enfin, le dressage, comprenant les codes à installer avec le cavalier, et la perfection dans le style à l’obstacle. Revenant sur la dimension d’athlète du cheval, il ajoute « Je travaillais la condition physique de Jappeloup différemment suivant les saisons : beaucoup en endurance l’hiver, et plus en résistance l’été ». Et, de manière générale, il fut l’un des premiers à exploiter le travail complémentaire en extérieur.

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Moins de temps

Mais aussi plus de compétitions, c’est ce qui caractérise également l’époque actuelle. Les cavaliers disputent, à l’heure actuelle, jusqu’à quarante ou cinquante compétitions par an. « Si nous participions à quinze compétitions sur l’année, c’était déjà beaucoup », confirme Nelson Pessoa, « nous avions donc plus de temps pour nous occuper des chevaux en regard de tous les aspects que Pierre vient de développer ». Celui-ci ajoute que « les chevaux avaient quant à eux d’avantage de temps de récupération par rapport à l’effort des compétitions ». Il faut donc, et c’est primordial selon lui, être à l’écoute de son cheval. « Si on le connaît bien, on arrive à comprendre quand il est saturé, quand il a besoin de repos, ou que l’on allège son travail, ou quand, au contraire, on peut lui demander beaucoup. Cela suppose d’avoir une relation très proche et même tactile avec lui. Si vous connaissez parfaitement votre cheval, quand vous entrez dans le box, vous savez immédiatement dans quelles dispositions il se trouve ».

Tout simplement inoubliables

Quand on demande à Pierre Durand d’évoquer ce que représentent pour lui les fondements de la compétition, il part du principe que l’on progresse par l’échec. « Et de toutes façons, quand on fait de la compétition, on ne connaît pas que la réussite. Il y a des échecs plus ou moins douloureux, et certains d’entre eux sont difficiles à dépasser. Mais après, quand on y arrive, on est beaucoup plus fort ». Et là, parlant justement des Jeux olympiques, le titre de champion olympique représente, pour un cavalier, la quête du graal absolu. « Mais pour ma part, la plus belle compétition a été concrétisée par les Championnats d’Europe qui se sont déroulés en 1987 à ST-Gall en Suisse ». C’était donc l’année précédant les Jeux Olympiques de Séoul, où il a obtenu le titre olympique. « Ce fut un duel extraordinaire, dès le premier jour (il y en a trois), avec Milton et John Whitaker. Pour le battre, il a fallu que je gagne la chasse, ce jour-là. Je suis passé en dernier dans le parcours de chasse, le terrain était épouvantable parce qu’il avait terriblement plu, et je savais que pour être champion d’Europe il fallait que je le gagne parce que Milton était déjà en tête au provisoire. Et ensuite, jusqu’au dernier jour, nous nous sommes tenus à deux points. Et vous savez, quand on a John Whitaker et Milton juste derrière, cela vous grandit et vous oblige à aller beaucoup plus loin dans vos limites. Pour moi, c’est la plus belle performance sportive que j’ai réalisée ».

Longines World’s Best Racehorse

« Pour galoper, il faut avoir un contrôle supérieur sur le cheval »
Nelson Pessoa

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Osmose

Et bien évidemment, ce type de performance ne peut advenir que s’il existe une véritable symbiose entre le cavalier et son cheval, comme le fait remarquer Nelson Pessoa. « Le jour de la compétition, on se retrouve dans un état d’esprit particulier. Il y a une forme de tension et de stress que le cheval comprend. C’est là que l’on peut arriver à se surpasser ensemble », explique-t-il. « On dit d’ailleurs que le cheval est un medium », embraie Pierre Durand, « parce qu’il absorbe tout ce que l’on ressent ». Et d’ajouter : « On ne peut pas tricher avec un cheval, il faut qu’il y ait une osmose ». Mais alors, quelle est la recette que ces deux cavaliers de légende planétaire semblent partager au cœur de leur complicité ? Pierre Durand nous en ouvre la porte : « Si l’on arrive à maitriser positivement cette émotion, ce stress et ce trac nécessaires, alors le cheval se transcende avec le cavalier ». Et il nous en donne une preuve : « Aux Jeux olympiques de Séoul (1988), pendant le parcours de la deuxième manche, j’étais tellement en connexion avec Jappeloup, que quand je pensais un ordre - préparer un virage, par exemple -, tout de suite, il l’exécutait. Je me suis dit, je m’en souviens encore tellement bien aujourd’hui, que ce n’était pas pensable, je ne demandais rien, et il exécutait ce que j’avais pensé. C’était une extraordinaire connexion dans le mouvement et dans l’action de compétition ». Un moment parmi d’autres, qui reste gravé à tout jamais dans la mémoire, pour la transcendance du sport équestre.

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